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Orphée et Eurydice

au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles

Du 17 juin 2014 au 2 juillet 2014

Première impression (à laquelle il ne faut pas forcément se fier!):

Je commence assez embêtée, car mitigée par ce "spectacle". Il me faudrait d'ailleurs relire la définition de ce terme pour être sûr de pouvoir l'employer ici : oui, il y avait de la musique, oui, il y avait du chant, oui, il y a indéniablement eut une recherche de mise en scène, mais je reste perplexe pour ce qui est de l'aboutissement, ou bien de la "trouvaille" de cette dernière. J'ai toujours pensé (et je continue de le faire) que lorsqu'une mise en scène doit être expliquée aux spectateurs au cours de la représentation, c'est qu'elle ne convient pas, et c'est ici le cas : un long, trop long texte défile (en anglaisd qui plus est!) sous les yeux du public durant tout le début de l'oeuvre, en gênant l'écoute attentive; de plus,  il est assez évident que lorsqu'un écran projette un film, la musique sert de fond (dont on ne saurait se passer pour la compréhension globale, mais un fond quand même). Comment profiter alors pleinement de la partition lorsque l'on doit suivre les mouvements d'une caméra projetés sur un écran occupant toute la scène, par-dessus même Eurydice? Non pas que l'idée de couper ce personnage du reste de la scène par ce "voile" ne soit pas, à mon sens, une excellente idée pour symboliser sa coupure avec le monde réel, sa présence-absence entre deux mondes, mais je dois avouer que j'ai fini par fermer les yeux lorsque enfin les deux amants ont chanté ensemble, car l'image empiétait alors de trop sur le chant, sans forcément un apport conséquent.

Je ne suis cependant pas la plus objective pour parler de cela, car ce sont les voix qui m'ont fait me déplacer ce soir-là et je n'étais sans aucun doute pas dans le bon état d'esprit : je ne venais pas pour voir un opéra, ou plutôt une mise en scène, mais je venais voir deux des plus grandes artistes françaises de la scène lyrique : Stéphanie d'Oustrac et Sabine Devieilhe. Je venais également entendre un chef d'orchestre : Hervé Niquet. Le parti pris de cette mise en scène consistant à mettre en avant Els, cette Eurydice des temps modernes, ne laissait malheureusement pour moi que très peu de place aux artistes que je venais voir. J'avais l'impression d'un grand gâchi vis-à-vis de ces interprètes grandioses.

Saluons donc la prouesse de Stéphanie d'Oustrac présente du début à la fin, sans une seconde de répis en coulisse. En quelques secondes à peine, malgré l'absence totale de décors et presque de mouvement, quelque chose de produisit, ce fameux "quelque chose" inexplicable, indescriptible et pénétrant que seules les grand(e)s et les vrai(e)s artistes font naître. Je fus touchée par sont chant (le fameux chant d'Orphée), par elle, non pas seulement par sa voix. Je l'ai enfin vue sur scène et ne peux à présent qu'en redemander!

 

Sabine Devieilhe, quant à elle, n'occupe que peu de temps la scène, et l'écran a stoppé une partie de la magie qu'elle fait habituellement naître en moi (magie que je retrouvai une fois les yeux fermés). Elle reste cependant elle-même, et il est impossible de lui imputer la moindre erreur ; l'incarnation du personnage, bien que flouttée dans ce minimalisme, est là, indéniablement.

 

Côté musique, Hervé Niquet reste lui aussi fidèle à lui-même : le rythme est rapide, parfois trop. Je n'avais jamais entendu la partition avant, mais j'ai songé à une ou deux reprises durant le spectacle : "pourquoi aller si vite?" De plus, chose étrange à dire à propos d'un opéra, la musique était parfois trop forte et passait au-dessus des voix, pourtant puissantes. Une chose est sûr : le sommeil ne peut pas nous gagner malgré environ 1h30 sans entracte. Pour faire un mauvais jeu de mot, cet Orphée et Eurydice réveillerait un mort!

Enfin, il faut saluer la très jeune interprète issue de la Maîtrise de Paris qui tenait le rôle de l'Amour, Fanny Dupont, ainsi que le cheour de la Monnaie, tout-à-fait grandiose, et l'initiative d'une rencontre à l'issue du spectacle anfin d'échanger, de discuter et d'apprendre sur ce que nous venions de voir.

 

 

 

 

Un dernier mot concernant la scène finale :

 

La musique se tait, les voix s'éteignent, l'opéra n'est désormais plus que silence, silence et regard, ce même langage qu'emploie Els. Pourquoi Orphée ne rejoind-il pas Eurydice derrière l'écran? Pourquoi ce dernier ne se lève-t-il pas? Toujours cet écran qui sépare, ce voile entre les personnages davantage qu'entre deux mondes... ce voile entre les gens? Et Orphée est là, dans le silence, et tourne ses yeux pour nous regarder, nous. Encore ce regard... nous condamne-t-il à la mort, nous aussi, alors que la caméra s'éloigne d'Els, sans un regard?...

A froid :

 

Si, par souci d’honnêteté et de sincérité, j’ai souhaité écrire les premières pensées nées de cette mise en scène, c’est par ce même souci que je dois à présent rajouter ces quelques lignes.

Effectivement, malgré toute la déception et bien que je continue de penser que l'idée lumineuse et poétique de Castellucci n'a malheureusement pas tenu toutes ses promesses (ô combien nombreuses!), la version filmée mise en ligne rétablit cette équilibre qui manquait sur place.
Outre ce point, il faut admettre une chose : depuis que j'ai vu cet opéra, il ne cesse d'occuper mon esprit. Les raisons de cette obsession m'échappent, et certainement m'échapperont-elles indéfiniment, mais il faut reconnaître une chose : si cette représentation ne m'avait pas bouleversée malgré mes premières impressions, mon coeur ne battrait pas à son rythme de puis le 1er juillet... 

Fortune Ennemie - Sabine Devieilhe
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J'ai perdu mon Eurydice - Stéphanie d'Oustrac
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D'autres en parlent :

 

Orphée et Eurydice, Roméo Castellucci bouleverse la Monnaie :

 

L'idée extraordinaire qu'a développée Romeo Castellucci pour sa mise en scène, c'est d'imaginer Eurydice dans une sorte de coma, entre la vie et la mort, et cette idée l'a conduit à s'intéresser au syndrome d'enfermement : le patient est totalement paralysé tout en restant parfaitement conscient.

Ses recherches l'ont amené à rencontrer Els, une jeune femme hospitalisée qui souffre de ce syndrome, et à lui proposer de jouer le rôle d'Eurydice sur la scène de la Monnaie, par écran interposé. 

Durant tout le spectacle, le public verra donc le visage d'une jeune femme immobile, écoutant la même musique que lui : elle n'est pas morte, elle est dans une autre forme de vie, elle est présente via une image vidéo projetée sur un écran de tulle, et elle participe au spectacle en temps réel en incarnant Eurydice.

 

Interview de Romeo Castellucci et de Sabine Devieilhe par Marianne Klaric :

http://www.rtbf.be/culture/scene/detail_orphee-et-eurydice-romeo-castellucci-bouleverse-la-monnaie?id=8303098

Roméo Castellucci transfère "Orphée et Eurydice" en salle de réanimation, Raphaël de Gubernatis :

 

En assimilant la tragédie d'Els, une jeune Belge, à la destinée d'Eurydice, dans l'opéra de Gluck, le metteur en scène Roméo Castellucci nous confronte aux mystères de la conscience humaine.

 

Orphée et Eurydice au Théâtre de la Monnaie (Bruxelles), mise en scène de Romeo Castellucci. (Bernd Uhlig / La Monnaie)

 

C’est une jeune femme prénommée Els, retranchée du monde des vivants depuis le 18 janvier 2013, subitement plongée dans un syndrome d’enfermement, un pseudo-coma, à la suite d’une thrombose qui a ruiné son tronc cérébral. Comme Eurydice, piquée mortellement par un serpent, passée dans le monde des Enfers, et dont l’apparence survit aux Champs-Elysées où errent les ombres heureuses, Els n’a plus d'existence réelle dans ce monde ; tout en vivant toujours, en étant parfaitement consciente, éveillée, sensible, mais prisonnière d’un corps absolument paralysé, à la seule exception de ses yeux, sans cesse mobiles.

 

L’effacement du monde des vivants

 

De cette terrible tragédie qui a frappé une jeune épouse et mère qui a aujourd’hui 28 ans, et avec elle tout son entourage, conjoint, parents, sœur et enfants en premier chef, le metteur en scène Roméo Castellucci a fait un audacieux et douloureux parallèle avec la tragédie que fut pour Orphée l’effacement d’Eurydice du monde des vivants. Et dans le désespoir d’Orphée, il a bien évidemment vu la souffrance des proches de la jeune femme alitée et murée dans le silence.

La scène du Théâtre royal de la Monnaie pour qui a été conçu cet "Orphée et Eurydice" de Gluck qu’il serait indécent d’appeler spectacle lyrique, mais plutôt tragédie intime et réflexion sur la fragilité de la vie, la scène s’offre dans une absolue nudité à la seule présence de la cantatrice Stéphanie d’Oustrac, admirable interprète d’Orphée. Ce n’est qu’après ses plaintes et gémissements déchirants, après la venue de l’Amour, ici interprété par une enfant, qui lui offre d’affronter les Enfers pour en sortir Eurydice à condition de ne la regarder jamais avant d’être arrivé au jour, ce n’est qu’à ce moment qu’apparaissent sur un vaste écran occupant toute la scène les images vidéo d’un parcours qui conduit les spectateurs à l’hôpital où non loin de Bruxelles est soignée l’infortunée Els, murée dans le silence et l’immobilité.

Un parcours aux images toujours floues, que l’on a voulu le plus musical possible, et qui, sur les accords harmonieux composés par Gluck pour évoquer la douceur des Champs-Elysées, nous fait arriver au moment où la caméra sobre et pudique de Vincent Pinckaers pénètre dans le parc qui entoure l’hôpital, s’insinue dans les bâtiments qu’on devine soigneusement entretenus, et s’immisce enfin dans la chambre de celle qui est devenue l’héroïne de cette mise en scène hors norme : Els, dont on découvre d’abord la main gauche inerte, dont on aperçoit la chevelure éparse sur les coussins et dont le visage ne sera d’abord révélé que par des photographies épinglées dans sa chambre de prisonnière soignée par des mains aimantes.

 

Els et Eurydice

 

En choisissant avec audace, courage et lucidité, et avec bien évidemment l’assentiment de la jeune femme et de son entourage, de faire un parallèle entre Els et Eurydice, Roméo Castellucci aurait pu choisir, comme le fit Pina Bausch, de suivre le mythe antique de la seconde mort d’Eurydice, tuée derechef par le regard interdit, mais aimant d’Orphée. Il a préféré obéir à la fin heureuse du livret de l’opéra de Gluck que son librettiste avait dû adapter aux circonstances qui présidaient à la commande de l’ouvrage dans sa première version en italien : le mariage à Vienne d’un membre de la Maison de Lorraine d’Autriche, d’un enfant de l’impératrice Marie-Thérèse. Un contexte festif qui exigeait une heureuse issue à l’ouvrage créé en 1762 devant la Cour impériale, avant de l’être, sur heureuse intervention de Marie-Antoinette, fille de Marie-Thérèse, présenté en version française, devant le public parisien à l’Opéra royal en 1774, puis retravaillé en 1859 par Hector Berlioz dont c’est la version, la plus belle, qu’on suit ici.

 

"Mon propos, écrit le metteur en scène Roméo Castellucci, n’est ici ni de démontrer une thèse ni de formuler un jugement. L’état de coma reste pour moi impénétrable, incompréhensible parce qu’il sort du cadre de la pensée consciente normale. J’ai l’impression qu’au sein du monde existe un autre monde, soumis à d’autres règles, d’autres lois, d’autres langages, d’autres conceptions du temps et de la perception ainsi que d’autres paramètres de la douleur et des émotions. Il y a là des corps qui expriment une demande spirituelle et matérielle pressante. J’ai noté que la manière de communiquer avec ces patients se manifestait par le contact, l’effacement de la distance, le murmure des paroles à fleur de peau. Pour le dire en un mot par "Il Trionfo d’Amore", le triomphe de l’amour, comme le proclame la dernière aria de l’ "Orfeo ed Eurydice" dans sa version italienne".

 

Au royaume des ombres

 

Et Castellucci a raison de voir les portes de cet hôpital spécialisé où l'on soigne des personnes ayant sombré dans le coma, comme les portes du royaume des ombres. Là subsistent des êtres parfaitement vivants physiquement, mais cruellement retranchés du monde des vivants. Et ce tragique parallèle sert bien son propos. Mais s’il suit effectivement la fin heureuse voulue par l’opéra au mépris de celle, funeste, du mythe, Castellucci fait de la résurrection d’Eurydice (rôle interprété avec âme par la belle voix de Sabine Devieilhe, laquelle est réduite dans cette mise en scène sans concession à de lointaines apparitions) quelque chose d’extrêmement ambigu. A l'appel de l'Amour, on la voit, nue, surgir de l’onde, au sein d’un paysage onirique, mais jamais elle ne se retrouvera auprès d’Orphée durant le final où l’un et l’autre semblent demeurer dans des univers devenus inconciliables. Comme si quelque chose d’infranchissable les séparait désormais, comme il sépare des siens Els l’infortunée.

Seul bémol à signaler à cette production : le fait que durant tout le début de l’opéra, on ait projeté sur l’écran l’histoire écrite d’Els qui est déjà distribuée aux spectateurs à leur entrée dans la salle. Ce texte projeté nuit fortement au recueillement et à l’écoute de la musique. Et qu’on l’ait projetée de surcroît en anglais, en anglais dans une capitale francophone, a de quoi exaspérer ! Il y a là matière, sans doute, à calmer la rage des Flamands qui ne supportent pas la présence de la seule langue française sur la scène nationale. A quelles inepties toutefois conduisent les querelles linguistiques menées par les Flamands ! On en vient à utiliser une langue étrangère au mépris de l’une et l’autre des langues nationales, le français et le flamand, pour éviter de froisser les susceptibilités!

 

Frémissements d’émotion

 

L’ultime image d’ "Orphée et d’Eurydice", dans cette interprétation donnée au Théâtre royal de la Monnaie sous la direction trépidante, excessivement rapide parfois d’Hervé Niquet, lequel ne nous épargne pas une ouverture quelque peu tonitruante, l’ultime image est bouleversante. Après que le chœur a chanté les louanges de l’Amour, du "dieu de Paphos et de Gnide", et alors que la partition s’achève sur un gros plan représentant le visage impassible de la jeune femme alitée, dans le silence écrasant qui étreint à ce moment le public très international de l’Opéra de Bruxelles, on voit des mains aimantes lui retirer les écouteurs qui sont à ses oreilles et lui caresser tendrement le front.

Car Els, en direct, écoute et voit l’opéra dont elle est l’héroïne par procuration. Ces mains, cet avant-bras tatoué, on les devine être de son compagnon, le père de leurs deux enfants de sept et deux ans. Et l’on entrevoit alors les yeux et les lèvres de la jeune femme frémir imperceptiblement d’une émotion déchirante que sa paralysie l’empêche d’exprimer.

 

http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20140623.OBS1320/orphee-et-eurydice-transfere-en-salle-de-reanimation.html

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