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LAKMÉ À L’OPÉRA COMIQUE DU 10 AU 20 JANVIER 2014

La direction musicale de François-Xavier Roth et la disposition de l’orchestre retravaillée pour être la plus fidèle possible à celle du XIXeme siècle sont tout-à-fait persuasives. L’on en viendrait même à regretter la disposition moderne : orchestre et scène forment un tout, et l’on assiste enfin à un "mariage heureux" entre voix et instruments plutôt qu’à un "conflit", une "bataille" où les deux partis s’emploient à parler plus fort que l’autre. L’harmonie dans la salle est indiscutable…Mais, même si cette harmonie doit beaucoup à la musique, elle ne saurait exister sans une réponse vocale de taille… Et quelle réponse!  Frédéric Antoun, magnifique Gérald, Paul Gay, Elodie Mechain, mais aussi Marion Tassou et Roxane Chalard, les deux jeunes chanteuses issues de l’école de l’Opéra Comique… tous allient leurs voix dans un haut niveau de plaisir pour les sens. Bémol cependant pour Hanna Schaer, ou Miss Bentson, qui ne semble pas être véritablement là, ayant l’esprit et parfois la voix ailleurs…La mise en scène, quant à elle, reste sobre (peut-être trop pour certains), mais fidèle à l’esprit de l’oeuvre, tout en la modernisant. Sont-ce nos attentes qui restent les mêmes que celles du public de 1883, ou bien est-ce Lilo Baur qui parvient à concilier et confondre attentes passée et moderne? Probablement un peu des deux : comme les personnes qui se sont assises sur les mêmes fauteuils que nous il y a quelque deux cents années, nous voulons du spectacle, du beau, nous

attendons de l’exotisme (le passage chorégraphié nous fait ainsi merveilleusement voyager), et surtout, avouons-le, nous attendons Lakmé… Que dire donc de cette Lakmé qui, en moins de trois heures, s’inscrivait dans les mémoires comme

une des grandes Lakmé de l’Opéra? Que dire de cette "voix céleste" encensée de toutes parts? Que dire du voluptueux transport qui émane de cette jeune chanteuse? Que dire qui n’a pas déjà été dit, tout simplement? Sabine Devieilhe s’impose, mais tout en douceur et en grâce, avec une légèreté et une fausse fragilité : l’air des clochettes, exercice de virtuosité tant attendu, nous soulève, s’empare de nous dès la première note, et nous laisse en suspens sur un fil fragile que l’on craint de voir se rompre à tout instant… Le coeur et l’âme se soulèvent d’une seule et même voix : celle de Sabine Devieilhe… La "fée clochette", comme on la surnomme à présent, tend ses fils avant même d’apparaître sur scène (nous l’entendons en effet avant de la voir), et nous nous y laissons prendre avec délices… De Delibes et Délices, il n’y a donc finalement qu’un prodige, et il est incontestablement au féminin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

"Le coeur et l’âme se soulèvent d’une même voix : celle de Sabine Devieilhe…"

 

 

 

C’était probablement l’un des opéras les plus attendus de la saison : Lakmé revient à l’Opéra Comique qui l’avait vu naître en 1883, et qui avait dès lors connu un franc succès. Léo Delibes, compositeur au parcours atypique, livre au public une histoire qui, finalement, n’a déjà rien d’original à l’époque… Et pourtant! Plus de deux siècles plus tard, on ne peut qu’admirer l’impressionnant palmarès de cette oeuvre : plus de 1600 représentations rien que dans la salle Favart, et des noms qui font rêver, tel que Adelina Patti, Lily Pons, Janine Micheau, Mado Robin, Joan Sutherland, ou encore Natalie Dessay qui en fut la dernière voix en 1995. Le challenge était donc de taille pour la jeune soprano Sabine Devieilhe, dont la fulgurante ascension donnerait presque le vertige (soliste depuis moins de 10 ans, sortie première du Conservatoire de Paris avec les félicitations du jury en 2011, Révélation de l’année au Victoires de la musique classique en 2013 et déjà nommée en tant qu’artiste de l’année aux Victoires de 2014). L’espoir était donc grand : l’opéra joué à guichet fermé dès la Première est un signe qui ne trompe pas… Mais l’espoir fut-il déçu?

 

 

 

D'autres en parlent...

Une Lakmé aux limites du sublime , Frédéric Norac :

 

 

La nouvelle production de l’Opéra Comique était impatiemment attendue. Depuis les Lakmé miraculeuses de Nathalie Dessay ici même en 1995, il n'était pas paru sur une scène française de titulaire du rôle capable de la faire oublier. Sur sa réputation et son disque Rameau, encensé par la critique, Sabine Devieilhe avait déjà conquis tout Paris avant même de paraître. Pour nous qui l'avions entendue dans le rôle en novembre 2012 à Montpellier, il n'y avait pas de doute possible, elle était bien la nouvelle Lakmé. Le triomphe était donc acquis, il ne s'agissait que de le justifier.

Un an plus tard, la chanteuse a encore affermi sa technique, notamment dans la maîtrise d'un suraigu qui a gagné désormais sa totale liberté. Pourtant ce qui captive, émeut, fascine chez elle n'est pas tant la virtuosité magistrale avec laquelle elle domine lescolorature de son fameux air des clochettes que le naturel et l'évidence de son chant. L'émission est toujours d'une pureté, d'une totale délicatesse et lui permet de créer un personnage psychologiquement crédible où se mêlent candeur enfantine et maturité féminine. Dès lors, peu importe si la mise en scène la transforme au premier acte en une sorte Pocahontas plutôt qu'en fille de brahmane, c'est par son chant expressif et délicat qu'elle fait exister son personnage dont elle dessine un portrait vibrant.

 

Face à elle, Frédéric Antoun ne manque pas de qualités. La clarté de son articulation, la fouge et la jeunesse qu'il communique à Gérald font oublier une certaine étroitesse de la voix et une émission qui dénote ses origines de ténor di grazia, là où attendrait plutôt un véritable lyrique au timbre un peu plus rond. Mais il gagne en crédibilité au fil des scènes et ne mérite au final que des éloges. À force de vouloir être imposant et noble, Paul Gay se raidit et son phrasé manque de legato. Comme le timbre n’a pas la profondeur qui font les très grands Nilakhanta, c’est plutôt une composition qu’une incarnation que le chanteur nous offre mais tout de même d’un très haut niveau.

Ni Élodie Méchain au timbre charnu mais à la diction paresseuse, ni le Hadji au vibrato prononcé d'Antoine Normand ne laisseront de souvenir inoubliable. En Frédéric, Jean- Sébastien Bou paraît sous distribué et sa voix désormais un peu lourde pour ce rôle de quasi baryton-martin. Du groupe des Anglais, on distinguera surtout l'Eileen touchante de Marion Tassou car la voix bien fatiguée d'Hannah Schaer en Mistress Benson, met un peu de temps à se chauffer et c'est son beau talent de comédienne comique qui la sauve dans ce rôle de vieille Anglaise pincée. Le travail réalisé sur l'articulation est remarquable en tous points et s'il bride quelque peu les chanteurs, il donne une totale clarté aux interventions de chœurs.

 

L'orchestre des Siècles sous la direction de François-Xavier Roth offre une lecture fluide, dramatisée sans excès et parfaitement idiomatique de cette partition à l'orchestration raffinée dont il valorise la richesse des alliages de timbres.

La mise en scène de Lilo Baur ne dépasse guère le niveau de l'illustration et sa direction d'acteurs reste assez conventionnelle mais plutôt efficace. Sa relecture de l'exotisme fin de siècle offre quelques belles images dans la grande scène de la cérémonie de Dourga à l'acte II, élégamment chorégraphiée par Olia Lydaki. Assez maladroite dans les grands ensembles, elle trouve ses meilleurs moments dans les scènes intimes du dernier acte où le plateau, enfin débarrassé de tout ce qui l'encombrait jusque là — tertre au premier acte, silhouette d'un temple de métal dans la scène du marché — offre enfin un espace où l'action peut se déployer. Le berceau de lianes dans lequel se joue le dénouement est du plus bel effet et nous ramène enfin à l'essentiel : l'incarnation de l'héroïne par une jeune interprète d'exception qui par sa voix et son chant exceptionnels transcende ce rôle un peu désuet et le porte vraiment aux limites du sublime.

 

http://www.musicologie.org/publirem/une_lakme_a_la_limite_du_sublime.html

 

Sabine Devieilhe, Lakmé de rêve à l’Opéra Comique :

 

On le sait, l’opéra de Léo Delibes fut l’un des plus grands succès lyriques en France à partir de la fin du 19e siècle. Créé en 1883 dans cette même salle Favart (toutefois reconstruite en 1898), cet opéra orientaliste comporte un magnifique rôle de soprano lyrico-léger, dans lequel Mady Mesplé ou plus récemment Natalie Dessay se sont glorieusement illustrées. Rien de plus normal alors que l’Opéra Comique en propose une nouvelle production, d’autant plus qu’il saisit ainsi l’occasion de présenter les débuts parisiens de Sabine Devieilhe dans une production scénique.

 

Devant faire avec des contraintes budgétaires probablement bien plus fortes qu’à l’Opéra de Paris, la mise en scène de Lilo Baur a le mérite de la lisibilité et de la sobriété. Décors sommaires mais jamais kitsch, mouvements précis mais jamais maladroits, on n’en demande finalement pas plus pour Lakmé. L’ambiance du dernier acte, avec cette scène remplie de lianes, au centre de laquelle les amants vivent leurs derniers moments, est même extrêmement émouvante de par son dépouillement.

Musicalement, il faut une nouvelle fois saluer la démarche de l’Opéra Comique, qui choisit de présenter cette nouvelle production dans un cadre « historiquement informé ». Ainsi, ce sont des instruments d’époque qui jouent ce soir (cuivres notamment). Et si quelques huées ont salué la prestation de l’ensemble Les Siècles, c’est bien injuste. Pour quelques hésitations bien pardonnables, que de bonheurs en échange : contrastes, tapis sonore de cordes très homogène et se mêlant magnifiquement aux autres instruments (harpe par exemple), legatos qui ressortent mieux car utilisés à bon escient. Quant à la direction de François-Xavier Roth, elle tire certes Lakmé vers l’opéra de chambre, mais c’est pour mieux en révéler les délicatesses, et mettre en valeur les chanteurs. Combien d’opéras de cette période ont-ils été rendus avec autant de grâce ? Saluons enfin l’exceptionnelle prestation du chœurAccentus.

 

La distribution est irréprochable, jusque dans le moindre petit rôle, et tout le monde peut se féliciter d’une diction générale impeccable, pas besoin de sous-titres ce soir ! Un peu gauche scéniquement – mais c’en est presque touchant – le ténor Frédéric Antoun campe un Gérald plein de fougue : le timbre est éclatant, l’aigu facile. Bien évidemment, la star de la soirée est Sabine Devieilhe, absolument éblouissante dans le rôle titre. Techniquement, c’est à tomber à la renverse : les difficultés les plus incroyables sont rendues sans le moindre effort ;  il va sans dire qu’elle ne fait qu’une bouchée de l’air des clochettes ! Mais l’incarnation de Devieilhe va beaucoup plus loin, et en ce sens, elle est la digne héritière de Natalie Dessay. On se permettra ici de dire qu’elle la dépasse presque déjà dans ce rôle. Le timbre est en effet superbe, le grave déjà bien assis et les passages les plus lyriques ne lui posent aucun problème. C’est enfin la projection qui stupéfie : ne donnant jamais l’impression de forcer, elle nuance et colore sa voix de la plus belle des façons ; avec un rendu impeccable jusque dans le moindre recoin de la salle Favart. Reine de la soirée, mais ne cherchant jamais à écraser ses partenaires : c’est la marque des plus grandes.

 

http://ilteneromomento.com/lakme-sabine-devieilhe/

Le Monde : 

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