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La Clemenza di Tito à l'OnR 

le 8 mars 2015

Voilà encore un opéra dont une seule représentation ne m’a pas rassasiée tant il était excellent ! Divin même ! Rarement une production aura réuni autant de bonnes choses : direction, musique (c’est quand même du Mozart !), interprètes et mise en scène, tout est à prendre et à savourer. On a beau chercher, à moins d’y mettre de la mauvaise foi, il n’y a vraiment rien à jeter, rien en trop, rien qui ne manque.

 

Cet opéra de Mozart datant de 1791 met en scène le célèbre Titus dans la lignée du personnage historique repris par Racine dans sa Bérénice de 1670. L’Empereur (Benjamin Bruns) est ici toujours esclave de la politique, mais il a tout de même mûrit et sait posséder assez de caractère pour avoir des principes, ce qui n’était pas forcément le cas chez Racine. Il tient donc tête à Publius (David Bizic) en refusant de condamner ceux qui se dressent contre lui et finalement ceux qui attentent à sa vie.

Parmi ses derniers, Sextus (Stéphanie d’Oustrac), son plus fidèle ami (la trahison est donc sans nom) victime de son amour passionnel pour Vitellia (Jacquelyn Wagner) qui espère ardemment devenir l’impératrice et qui n’en peut plus de voir défiler les noms de prétendantes avant le sien : d’abord Bérénice, puis Servilia (Chiara Skerath). 

Si la première fut répudiée car barbare et par conséquent indigne du trône aux yeux des romains, la seconde refuse ce titre car amoureuse du grand ami de son frère, Annius (Anna Radziejewska). Ce dernier est quant à lui une sorte de Titus en devenir : prêt à abandonner son grand amour par devoir politique et d’une grande fidélité en amitié, souhaitant encore aider Sextus même lorsqu’il apprend la trahison dont il est coupable. 

La boucle est donc bouclée, tous les personnages sont liés dans ce « cycle infernal ». Il suffit d’une étincelle, une « pichenette » pour que le premier domino ne tombe, entraînant les autres dans sa chute.

Côté plateau, nous voyons ici réunis six solistes exceptionnels. Si Jacquelyn Wagner, dit Vitellia pour les intimes, était annoncée comme se remettant à peine d’une semaine de maladie, seules les premières notes s’en sont ressenties, et encore parce que nous le cherchions ! Même en voulant entendre une fragilité, il faut bien admettre qu’après une minute d’écoute, c’était peine perdue : autant se laisser porter !  Annius campe de son côté un bel amant innocent tandis que Chiara Skerath offre également une superbe Servilia fraîche et touchante avec son timbre de voix si particulier. Le jeune couple devient ainsi le reflet inversé de Sextus et Vitellia et nous offre un duo extrêmement touchant au premier acte lorsque l’amant vient apprendre le désir d’hyménée de l’empereur avec celle qu’il aime.

Il faut cependant bien admettre que Stéphanie d’Oustrac se démarque quelque peu de ses collègues. Ce soir du 8 mars, elle nous a offert un « Deh, per questo istante solo » absolument déchirant, à vous en couper le souffle au sens propre : j’ai réellement passé une grande partie de l’air en apnée, l’âme au bord des larmes. La mise en scène porte alors le chant grâce au plateau tournant plaçant Sextus dans une sorte de bulle coupée du monde qui continue de tourner sans lui. Nous touchions là un moment de grâce.

La mise en scène de Katharina Thoma est d’ailleurs la plus juste et intelligente que j’ai eu l’occasion de voir, bien que cela extrêmement subjectif. Les détails ont leur importance, les déplacements sont naturels, les personnages se croisent sans artifice, nous pouvons les voir dans une pièce voisine à l’abri des regards de leurs compatriotes, etc… La lecture faite ici de l’opéra de Mozart parvient à intégrer un point de vue très intéressant : celui du problème de l’injustice que pose la clémence de Titus. Oui, ce geste est généreux de sa part, mais les victimes de l’incendie sont alors flouées et justice ne leur est pas rendue. On comprend alors qu’ils rejettent la décision finale consistant pour eux à pardonner aux puissants et à oublier le peuple. Quelle idée sublime (car elle sublime réellement l’ensemble de l’œuvre) que ce suicide de Sextus en coulisse, clôturant la représentation sur ce coup de feu apportant également encore plus de profondeur au personnage et un certain équilibre judiciaire. 

Certainement pourrait-on parler des heures durant de cet opéra splendide pour lequel j’ai finalement parcouru quelque chose comme 1752 km, mes deux aller-retours étant compris, ce qui doit faire une quinzaine d’heures de train pour deux fois 2h30 de spectacle. Pourtant je n’hésiterais pas une seconde à parcourir davantage de distance pour le revoir une troisième fois si l’occasion m’était donnée ! Indéniablement, cet opéra marque un autre temps fort inoubliable dans mon existence et je ne saurais exprimer tout ce que je souhaiterais, remerciements compris.

On dit que l’on est la somme des rencontres que l’on fait au cours de sa vie. A chacune d’elles, nous laissons une part de nous-même et prenons un peu de l’autre pour nous fabriquer. C’est dans cette optique que je puis dire qu’il s’agit là non d’un simple spectacle mais bel et bien d’une rencontre, peut-être même cruciale, qui sait ? En tout cas, deux belles et reposantes parenthèses indélébiles dans une phrase bien trop longue pour mon souffle…

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