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Dispersion au Théâtre des Célestins :

A Lyon, on se disperse, mais c'est pour mieux retrouver...

Puisque je ne supporte pas l’injustice, il me faut rétablir son antonyme ici. Dans l’article rédigé sur TLC concernant Dispersion, je disais –avec le plus de douceur, certes, mais je le disais quand même – que la pièce ne tenait finalement que par Carole Bouquet ou presque. Non pas que je revienne sur les impressions de cette soirée de Première, seulement voilà : le caractère éphémère des arts de la scène fait son charme, mais aussi son danger, aucune soirée n’étant identique aux autres. C’est ce qui s’est passé pour cette pièce : étant retournée la voir vendredi soir, je n’ai pu qu’être heureuse de constater à quel point mon premier article publié n’était plus à l’ordre du jour, du moins pour plusieurs de ces aspects. Revenons donc sur cette soirée très réussie et non sur celle du 12.

Carole Bouquet reste bien entendu Carole Bouquet avec un jeu sans fausse note, une maîtrise des mots indéniable, eux qui sont peut-être ici le personnage principal. Exemple frappant : son « doucement » qui se glisse en un souffle d’air, infime et pourtant perceptible et tout à fait compréhensible. On se laisse happer dans cet univers aux airs de plongée. Une plongée dans les souvenirs qui se confondent avec une autre dans l’oubli. On voit la noyade approcher, mais on ne veut pas lâcher ce personnage qui sombre, revient à la surface avant de retrouver des abysses que l’on ne maîtrise pas. Happés en apnée.

L’actrice nous donne envie de ne surtout pas lâcher prise et de se battre pour comprendre, reconstituer son puzzle. Tout paraît alors tourner autour de ce bébé qui semble ne jamais être loin. On pleure un paquet perdu et tout est pourtant flou : qu’en est-il réellement de ce « paquet » ? L’arrachement des nourrissons à leurs mères sur le quai de la gare, étrange scène fantomatique qui hante le personnage, a-t-elle bien eu lieu ? Certainement. Dans quelles circonstances ? Si l’on en croit le programme et la vision politique décrite par Gérard Desarthe dans son interview vidéo ainsi que de nombreuses critiques, cela fait écho au nazisme, donc à la guerre. Reste cette couverture que le personnage ne cesse de triturer entre ses doigts...

Pour ma part, je me détache de tous ce co-texte et tends à basculer vers une image se rapportant aussi à la guerre mais sans pour autant m’y fermer. Le brouillard que représente la mémoire de cette femme, « dispersée », fragmentée, éparpillée, ces lambeaux de souvenirs effrités ne me permettent aucune lecture bien nette et aucune hypothèse que je ne saurais moi-même réfuter.

La mise en scène de Gérard Desarthe permet cette liberté d’interprétation : le texte est au cœur de la pièce, il est d’ailleurs sur le sol, et même le mur entre Rebecca et nous à la fin de la pièce, les phrases tombant à la verticale se transformant en barreaux de prison. Belle idée que de ne pas les avoir présentés dans le sens de lecture (à moins de tourner sa tête pour faire un angle de 90° avec son cou) : cela permet de ne pas être distrait par la lecture pour mieux écouter le terrible récit de Rebecca.

Si j’ai dépeint un Gérard Desarthe presque transparent dans ma dernière chronique, je dois à maintenant revenir là-dessus : vendredi soir, il était tout à fait présent, avec un personnage bel et bien « consistant ». Les rires du public étaient d’ailleurs bien plus francs devant certaines répliques. On y perdait peut-être une certaine lecture inquiétante moins là, mais on y gagnait en jeu d’acteur ! Cette fois, le couple en était bien un, aucun ne prenant l’avantage sur l’autre.

Une belle pièce qui offre un beau défi parfaitement relevé, tant sur le plan de la mise en scène que du jeu, ce dernier ne pouvant s’appuyer que sur lui-même et les mots, le texte pénétrant, un coup léger, un coup profond, jamais vide de sens ou de réflexion. 

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