top of page

Gala du Tricentenaire de l'Opéra Comique :

"Et si l'Opéra m'était... Comique?"

Il y a des émotions si fortes et des moments si intenses qu’ils ne se racontent pas : ils se vivent, du plus profond, et c’est tout. Jeudi soir fut de ces émotions et de ces moments-là. Ne croyez donc pas ce que je vais vous raconter : c’était bien mieux ! 

Et si vous regrettez d’avoir manqué cette soirée… vous avez bien raison ! Mais réservez votre 28 décembre pour la revivre sur Arte, enrichie de quelques bonus.

Tout commence par Arlequin. Le ton est donné : nous ne sommes pas à l’Opéra de Paris, mais à l’Opéra Comique ! Et ce soir, c’est jour de fête : nous sommes là pour rire et nous amuser. La soirée honorera cette promesse grâce aux comédiens et aux scénettes retraçant l’Histoire de cet Opéra et de ses œuvres, si riches et si nombreuses : Carmen, bien sûr, mais aussi La fille du régiment, La Damnation de Faust, Les Contes d’Hoffmann, Lakmé, Manon, Pélléas et Mélisande, La Voix humaine, … Sans oublier les premières nées, comme Les Troqueurs, la Fée Urgèle ou Richard cœur de lion, et bien d’autres encore ! Les Temps graves sont remémorés comme les Temps plus légers et la parodie revient : l’Opéra se rit parfois de de lui, se caricature sous les traits de ce travesti-cantatrice joué par Michel Fau lui-même, également metteur en scène de cette superbe soirée, qui chante fort et faux des paroles en yaourt. L’image drôle et parfaite que certains se font encore des cantatrices !

Revenons donc au début de cette soirée avec notre ami Arlequin nous présentant la naissance de cet Opéra Comique il y a maintenant trois siècles, passant d’une vie vagabonde à davantage de sédentarité : « Vive les noces du Parler et du Chanter ! Vive l’Opéra Comique ! » clame-t-il. Pendant ce temps, des chanteurs du chœur Accentus se sont glissés dans la salle, et entament alors « Mais nous ne voyons pas la Carmencita ». A « la voilà » apparaît le dessin de Galli Marié dans le rôle de Carmen, avant que n’entre par la porte sur scène une Carmen au costume identique, éventail devant le visage. Eventail qu’elle replie brusquement pour nous dévoiler son identité : celle du maître de cérémonie Michel Fau ! Amusante surprise à laquelle le public adhère immédiatement.

sociétaire de la Comédie Française, représentant naturellement cette grande institution à laquelle il appartient, toujours dans un esprit parodique. Délicieux. Michel Fau, lui, représente l’Opéra de Paris dans son costume de Carmen. Interdit de paroles et de chants, Arlequin/Opéra Comique nous fait chanter brièvement, avant que ne continue de s’enchaîner discours et chants ; nous arrivons ainsi aux Troqueurs d'Antoine Dauvergne avec l’extrait « Ne me rebute pas » par quatre représentants de l’Académie de l’Opéra Comique : Sandrine Buendia, Eléonore Pancrazi, Ronan Debois et Vianney Guyonnet. De brefs extraits sont joués, et les années défilent tandis que le rideau représentant le décor se lève devant la scène en tréteaux, puis se baisse de même que deux lustres descendent du plafond et les images défilent, marquant les périodes. 1789, 1804, 1825… Que le temps passe !

 

Le panneau se lève ensuite, laissant apparaître à nouveau Arlequin, et l’histoire continue de nous être contée, faisant voir également Christian Hecq,  

1840 : La Fille du régiment de Donizetti, autrement dit Julie Fuchs interprétant « C’en est donc fait… Par le sang… Salut à la France » dans un superbe costume on ne peut plus patriotique puisqu’il s’agit du drapeau français. Nous y voilà donc : si les jeunes chanteurs de l’Académie se sont montrés excellents, nous changeons ici de catégorie avec une superbe maîtrise de la voix, tant dans la technique que dans la puissance. Mon seul point de comparaison était, je l’avoue, Olga Peretyatko lors du concert du 14 juillet dernier, et je n’ai pourtant pas été déçue.

L’écran se baisse à nouveau, Michel Fau/Carmen revient, puis Berlioz lui-même sous les traits de Christian Hecq. Nous sommes en 1846, et c’est alors la création de La Damnation de Faust avec la Marche de Rakoczy, merveilleusement interprétée par Les Siècles, avant que ne vienne un grand moment, celui de l’apparition d’Anna Caterina Antonacci, toujours très attendue, avec l’extrait « D’amour l’ardente flamme ». Se dresse alors peut-être le tableau le plus sublime de cette soirée avec une cantatrice en robe noire, décor des plus simples avec les deux lustres toujours à terre et une lumière tamisée et chaude. Envoûtante.

Une courte scénette mettant en scène Bizet et d’autres personnages dont les deux comédiens déjà cités ainsi que l’ouverture de Carmen permettant à la cantatrice de se changer très rapidement pour se glisser en un temps record dans la peau de Carmen et revenir incarner la célébrissime Habanera. Quel plaisir ! Quel délice ! Quelle justesse ! Nous sommes bien loin de certains mauvais souvenirs dont nous tairons les noms : la diction est tout simplement parfaite, la voix se module, retenue ou puissante, et se joint au jeu tout aussi parfait d’Antonacci. Aucun doute : elle ne joue pas Carmen, elle est Carmen, ce rôle est sien.

Bizet disparaît, nous voilà déjà en 1881 avec Offenbach et ses Contes d’Hoffmann dont le premier extrait est, bien sûr, « Les oiseaux dans la charmille », l’air d’Olympia interprétée ici par Sabine Devieilhe qui nous transporte dans des acrobaties vocales époustouflantes ! Les notes s’enchaînent et se détachent, atteignant parfois des hauteurs à donner le vertige, la voix est forte et posée, à la fois légère et pénétrante. Le public est sous le charme et offre presque une minute d’applaudissement, totalement conquis. Suit alors l’air « Scintille, Diamant » en ré majeur, que l’on entend assez peu dans les productions données de cet opéra, mais auquel Vincent Le Texier donne un second souffle, grave, bien sûr, et puissant.

Autres temps, autres mœurs et surtout autres lieux : nous partons à présent, toujours grâce aux acteurs, du côté de Léo Delibes et de sa Lakmé avec l’extrait « Où va la jeune hindoue ». La fée clochettes remonte alors sur ces planches qui lui valurent ce surnom moins d’un an après sa fabuleuse interprétation dont on se souvient encore… et seulement 5 minutes après l’air d’Olympia ! On imagine aisément la véritable course dans les loges pour ce changement éclair de costumes ! La voix est alors plus posée qu’en janvier dernier, moins fragile… cette fragilité manquerait presque pour ce moment, mais on l’oublie vite et on se laisse emporté par Sabine Devieilhe qui nous charme et que l’on suivrait finalement partout.

La soirée se poursuit et nous voilà maintenant en 1884 avec Manon de Massenet et Patricia Petibon qui enchaîne l’air du Cour-la-Reine et le duo de Saint-Sulpice, accompagnée pour l’occasion par un Frédéric Antoun des plus convaincant en Des Grieux. Petibon, de son côté, incarne à merveille une Manon scintillante dans le premier air, et parvient à changer de visage pour nous toucher lors du second extrait, bien plus profond et grave. Qui d’autre aurait pu nous faire oublier ce costume et cette perruque excentriques qu’elle seule peut porter tout en restant convaincante ?

Suivent ensuite l’Ouverture de Mignon d’Ambroise Thomas et deux extraits de Pelléas et Mélisande, dont une scène de la Tour quelque peu retravaillée (mais je garde le mystère là-dessus et vous laisserai le découvrir par vous-même). C’est également l’occasion pour Stéphane Degout d’entrer sur scène et d’y rester pour chanter après cela l’extrait « A travers le désert » de Mârouf, savetier du Caire d’Henri Rabaud qui laisse encore une fois ouïr une voix qu’on aimerait entendre plus souvent.

Le temps file et c’est déjà L’Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel auquel succède La Voix humaine de Francis Poulenc. Le rideau rouge est alors baissé, et c’est Anna Caterina Antonacci qui réapparaît sur scène, un téléphone à la main, de nouveau dans sa robe noire. Celle qui est aujourd’hui qualifiée comme l’une des plus grandes tragédiennes de notre Temps montre à quel point ce titre est mérité. Difficile d’imaginer meilleure interprétation, tant dans le jeu que dans le chant. Parfaite.

La boucle est ainsi bouclée : le rideau alors étoilé se lève et laisse apparaître le cœur Accentus ainsi que l’ensemble des solistes. La musique a déjà commencé : Barcarolle des Contes d’Hoffmann. Pendant ce temps, les titres qui ont fait l’histoire de l’Opéra Comique défilent sur le fond de la scène. Moment d’extase qui nous berce avec délice. Moment de douceur extrême. Merveilleux, tout simplement.

Voilà que le rideau se baisse à nouveau. Quoi ? C’est fini ? Déjà ? Non : 300 ans ne peuvent pas s’être écoulés. Impossible ! Et pourtant… Pourtant le rideau ne se relève que pour les saluts, fort nombreux face à un public plus que conquis et ravi qui n’a pu se contenter d’une seule vague de saluts. Refusant de déjà voir ce tissu rouge sur scène, il se lève et force par ses applaudissement à relever ce rideau impitoyable pour voir à nouveau ces merveilleux artistes qui ont offert une soirée véritablement époustouflante qui restera, à n’en pas douter, dans les mémoires de cet Opéra Comique dont l’histoire était ce soir contée, chantée, jouée, donnée, reçue, et finalement vécue. Pas besoin de bougies donc pour cet anniversaire : nous avions des étoiles !

D'autres en parlent... :

http://blogs.qobuz.com/andretubeuf/2014/11/14/tricentenaire-de-lopera-comique/ :

 

Tricentenaire de l’Opéra-Comique

Par André Tubeuf

 

 

"« Si l’Opéra-Comique nous était conté… » Bonne idée, car même ses clients les plus assidus d’aujourd’hui ne savent pas grand-chose des péripéties qu’a traversées ce très glorieux, et assez précaire, théâtre, qui a subi tant de fortunes et si souvent changé de cap. Sous-titre au gala du tricentenaire ; et formulation qui pourrait être de Sacha Guitry. On n’en est pas si loin d’ailleurs. L’ordonnateur du spectacle, du show plutôt, est Michel Fau en effet, le Sacha Guitry du Paris années 2010 et quelque, un Sacha Guitry qui se travestirait en Lana Marconi pour pimenter son déroulé scénique de meneur (ou meneuse) de revue. Est-ce à dire que l’avenir proche, le salut d’un théâtre toujours glorieux (merci, Jérôme Deschamps qui va le quitter sur une pirouette) mais toujours précaire et toujours menacé, passe nécessairement par la gaudriole ? Sans renouveler la prestation finale, numéro ajouté qui déshonorait son excellente mise en scène de Ciboulette ici-même,  Michel Fau de bout en bout du show travesti en Galli-Marié et dans le costume même de Carmen qu’elle a rendu célèbre, est largement meilleur quand il raconte que quand il chante. N’est pas Charpini qui veut, ça se mérite par un peu de travail sur la voix, et la façon de la parodier quand on aime la voix. Bémol. Dans une soirée où le chant, raison d’être de l’Opéra-Comique s’il doit longtemps vivre, est si magnifiquement honoré, et son histoire si bien contée (par Fau lui-même), ce numéro en Mélisande en nattes a tort de chercher à faire rire. Si c’est ce comique-là qu’il faut à cet Opéra-là, il peut vivre sans subvention.

 

Il fallait bien qu’on le dise. Et maintenant qu’on l’a dit, on remercie de tout cœur et sans réserve ceux qui nous ont donné cette soirée cordiale, bon enfant, instructive et musicalement impeccable, à commencer par le Pelléas et la Mélisande de la parodie, artisans en chef de la chose, Deschamps et Fau solidaires. Le plateau était de choix, et choisi parmi les fidèles du lieu.  Les Siècles, dirigés par François Xavier Roth, ont accompagné avec la plus prudente et remarquable transparence (et çà et là d’exquises sonorités instrumentales) des solistes qui prenaient des risques (changement rapide de costumes, départ à froid, tout ce que sur scène normalement on évite). Et Accentus leur apportait où il faut, et dans la Barcarolle collective en apothéose, un excellent appoint. Ce que la soirée offre de plus sympathique apparaissait d’entrée de jeu :Christian Hecq, parfaitement naturel et à sa place, lui, dans son travestissement, ses cabrioles et son entrain d’Arlequin, autre meneur de jeu. Et un quatuor de poulains de l’Académie de l’Opéra-Comique, délicieux jeunes chanteurs, sains, joliment sonores. Des voix avec des timbres, et qui ne poussent pas de l’air dans l’espoir d’en faire du son : tout ce que l’Opéra-Comique de ces dernières années a constamment essayé de nous montrer, la relève, les jeunes, beaux à voir, bons à entendre, employés selon leurs moyens. Citons ces jeunes héros : Sandrine Buendia et Eléonore Pancrazi, Ronan Dubois et Vianney Guyonnet, dans le quatuor des Traqueurs de Dauvergne (1753).

 

Très justement (et très fort) se sont fait applaudir deux jeunes, encore très jeunes, mais déjà stars, qui ont trouvé leur première grande chance ici-même. Julie Fuchsaprès son éblouissante Ciboulette a chanté avec charme, aplomb et virtuosité La Fille du Régiment, « Par le rang et par l’opulence » qui montre le caractère, et « Salut à la France » qui montre le panache. Sabine Devieilhe a fait mieux encore. Elle a démenti les craintes que nous formulions ici-même quand elle s’est révélée dans Lakmé. Toujours étincelante de virtuosité (et touchante de sensibilité, ce qui n’est pas la même chose), la voix s’est étoffée, a pris du corps, sa projection a moins à craindre d’un orchestre qui s’emballe, ou d’un partenaire chantant trop fort, son traitement des « Oiseaux dans la charmille » est sûrement ce qu’on a entendu de mieux sur cette scène dans cet emploi, non, on n’excepte personne : car l’avantage d’un timbre par lui-même ravissant, ça n’est pas rien. Et les cocottes, le trille, la façon d’amener en douceur et en feu d’artifice le suraigu à la fois comme fusée et comme perles, sont de grande haute école ! Etrange comme les Clochettes de Lakmé ensuite, si brillantes qu’elles soient, ont vieilli (plus que tout ce qui se chante d’autre dans Lakmé, d’ailleurs). Mais pourquoi craindre ce démodé ? Ici le public ronronne. Vincent Le Texier (un Grand Ancien, dans ce contexte d’espoirs) donnera ensuite, avec la désinvolture qu’il faut à Dapertutto, « Scintille, diamant », qu’on n’entend plus guère dans les Contes d’Hoffman tels qu’on nous les sert aujourd’hui. Et sa scène du souterrain de Pelléas avec Stéphane Degout montrera ce qui est essentiel à l’esprit de cette Maison, devenue autrement aventureuse sous Albert Carré directeur : l’autorité, le bien dire. Entre temps, la Maison aura créé Manon. Dans une formidable robe abat-jour et avec une perruque culottée comme elle seule peut savoir la porter, Patricia Petibon  enchaînait à un très brillant (et déjà mélancolique) Cours la Reine une Scène de Saint Sulpice simplement formidable. Avec l’excellent concours de Frédéric Antoun en Des Grieux, cette Manon s’incarne, du geste de la main, du mouvement de tout le corps, des inflexions les plus subtiles et les plus sensibles (sensuelles) d’une voix caméléon. Et revoilà l’opéra comique de grand papa, répertoire qu’on brocarde tant, et qui nous redonne, comme il est juste, le grand frisson lyrique ! Vive Massenet qu’on revoit et réentend vivant (et pas minaudé ou vrillé) ! Quelle Thaïs elle pourrait nous donner, celle-là !

 

C’est grand mérite à Stéphane Degout de s’être fait en coulisse le Cyrano de Jérôme Deschamps travesti en Pelléas bonhomme : générosité collégiale dont il a été récompensé en nous délivrant ensuite la plus absolument exemplaire leçon et de texte français et de chant accompli dans la scène des souterrains et ensuite surtout Mârouf. Dans cette tessiture ténorisante, un si splendide exemple de baryton de texture mâle, timbré en plein métal, tenu par la ligne musicale la plus châtiée, depuis quelques années déjà on s’étonne que Degout puisse continuer ainsi, sans devenir un Golaud alors qu’il est devenu un fantastique Hamlet. Oui, le chant ne se porte pas si mal, de nos jours ; il démarre bien, chez presque tous ; mais qui ose résister aux sollicitations, et s’accomplir en restant strictement lui-même ? Sans doute le seul Degout. Chapeau !

La part vocale la plus ingrate était réservée à Anna Caterina Antonacci. Mais elle sait assumer ce qui est ingrat, pas payant, et difficile. Attaquer à froid « D’amour l’ardente flamme » (qui, à bien y regarder, est le seul moment musical et vocal sublime de la soirée) ; enfiler presto la robe de Galli-Marié pour nous donner la Habanera la plus discrète et mieux dite qui soit ; se retrouver en fin de soirée seule devant le rideau, comme à nu dans sa robe noire, avec pour tout partenaire, tout appui scénique, un téléphone, pour cette fin de Voix Humaine d’intonation, d’inflexion, de propreté suprêmes, quel challenge ; et que, certes, on n’applaudit pas comme on le fait des contre-mi et des cocottes. Mais à  quel autre niveau !

 

Avoir réussi à faire aller et alterner tous ces éléments contrastés et même contradictoires, c’était en effet nous conter l’histoire d’une maison bien singulière, irremplaçablement singulière. Pour les Fêtes elle nous rendra La Chauve souris, dans sa version française presque originale. Le 28 décembre Arte va faire revivre cette fête pour ceux qui n’y étaient pas, et les privilégiés du 13 novembre y regoûteront volontiers. Merci à tous et de tout cœur. Et que vive notre Opéra-Comique !

 

Opéra-Comique, 13 novembre 2014"

Psssssssst : Elmedar(t) est aussi sur Facebook et sur Twitter.

Abonnez-vous pour être informé(e) des nouvelles publications, et soyez le/la bienvenu(e) !

bottom of page